Compte pénibilité : des simplifications, mais encore des questions et des inquiétudes
Depuis le 1er janvier 2015, le Compte Personnel de Prévention de la Pénibilité (C3P) est partiellement entré en vigueur. Usine à gaz pour les uns, avancée sociale majeure pour les autres, ce dispositif, emblématique de la réforme des retraites, a fait l’objet de quelques modifications avant l’été. Mais il reste des points d’achoppement.
Au départ, la loi prévoyait que l’employeur établisse une fiche individuelle d’exposition pour tout salarié du privé exposé à au moins un des dix facteurs de pénibilité fixés par la loi. En 2015, quatre critères sont d’ores et déjà pris en compte : le travail de nuit, le travail répétitif, le travail en milieu hyperbare et les horaires alternants et en 2016, cela sera le cas des six autres : postures pénibles, manutentions manuelles de charges, agents chimiques, vibrations mécaniques, températures extrêmes et bruit. Toute personne exposée à un risque professionnel (et dépassant les seuils et les durées fixés par décret) durant un trimestre aura droit à un point (deux en cas d’exposition à plusieurs facteurs). Les points accumulés donneront droit à de la formation continue pour se reconvertir, à du temps partiel de fin de carrière (sans baisse de salaire), ou à des trimestres de retraite.
Face aux inquiétudes exprimées par beaucoup de chefs d’entreprise, notamment de TPE-PME, concernant la lourdeur et la complexité du dispositif, le gouvernement a décidé de suivre les recommandations émises par le rapport Huot, Sirugue, de Virville qui lui a été remis en mai dernier en simplifiant certains points. Dans le BTP par exemple, les craintes sont liées au fait que les tâches varient d’un jour sur l’autre, et d’un chantier à l’autre. Autre source d’inquiétude : comment comptabiliser les temps d’exposition à une température extrême (moins de 5 degrés ou plus de 30 degrés). Le port des charges lourdes ou les gestes répétitifs risquent également d’être complexes.
Le premier ministre a ainsi décidé de laisser le soin aux branches professionnelles d’apprécier, sur la base d’évaluations plus collectives, l’exposition aux facteurs de pénibilité. Ainsi l’employeur pourra se contenter d’appliquer le référentiel de sa branche qui identifiera quels postes, quels métiers ou quelles situations de travail sont les plus à risques. Il n’aura plus de mesures individuelles à accomplir, si ce n’est déclarer, en fin d’année, aux caisses de retraite les salariés exposés. Celles-ci se chargeront ensuite d’informer les salariés de leur exposition et des points dont ils bénéficient. « Une bonne avancée, estime Alain Gargani, président de la CGPME des Bouches-du-Rhône, mais il reste encore beaucoup de zones de flou, notamment concernant les gestes répétitifs ou les températures extrêmes. Par exemple, dans le Sud, travailler avec des températures avoisinant les 30° est quasiment la norme de mai à septembre ».
Une logique de réparation
En revanche, cette modification de la fiche d’exposition inquiète la CFDT. « Globalement, le dispositif constitue une grande victoire historique, une vraie mesure de justice sociale, rappelle Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale de la CFDT. C’est un moyen de diminuer l’exposition à la pénibilité et de réparer l’injustice de la différence d’espérance de vie liée à la pénibilité au travail. Mais la modification de la fiche individuelle d’exposition ne va pas dans le bon sens et la détourne de ses objectifs. Elle devait constituer un outil de traçabilité et de prévention. Avec ce nouveau système, nous craignons d’être davantage dans une logique de réparation que d’amélioration de la prévention de la pénibilité ».
Autre modification qui inquiète la CFDT : le report plus ou moins déguisé du dispositif pour les salariés intérimaires et la recommandation d’éviter les contrôles spontanés les deux prochaines années auprès des entreprises de travail temporaire.
Par ailleurs, l’entrée en vigueur des six facteurs de pénibilité restants est désormais fixée au 1er juillet 2016 et non plus au 1er janvier 2016. Ce que certains syndicats patronaux tels que la CGPME jugent encore beaucoup trop juste étant donné l’ampleur du travail à accomplir. « C’est une utopie de croire que les référentiels pourront être prêts dans six mois, estime Alain Gargani. Par ailleurs pour les entreprises qui ne sont pas affiliées à une fédération professionnelle, qui va décider du référentiel ? », s’interroge-t-il.
S’agissant du facteur de pénibilité « gestes répétitifs », le gouvernement a indiqué vouloir le redéfinir de façon plus précise et plus opérationnelle notamment pour les entreprises industrielles. « Mais ce flou nous inquiète », indique Alain Gargani.
Enfin, une autre crainte partagée par de nombreux chefs d’entreprise est de voir leurs salariés choisir majoritairement le départ anticipé à la retraite. L’enjeu sera de les inciter à envisager la formation pour un emploi moins ou non exposé à la pénibilité ou le temps partiel pour pouvoir les maintenir en activité.
Pour rappel, l’objectif de ce dispositif est de réduire la pénibilité au travail. Pour chaque poste exposant aux facteurs de pénibilité, des mesures de prévention devront être planifiées afin de supprimer ou à défaut de réduire l’exposition à son niveau le plus bas possible. Ces mesures peuvent être d’ordre organisationnelles (aménager les horaires...), collectives (insonorisation, ventilation..) et individuelles (ports de gants, de bouchons d’oreilles...).
20 à 25% de salariés concernés
Selon une étude de la Dares publiée fin 2014, entre 20 et 25% des salariés pourraient être concernés par le C3P. Selon l’enquête Sumer 2010, la pénibilité concerne au premier rang les ouvriers, puis les employés de commerce et de services. Notamment dans les secteurs de la construction, de l’industrie manufacturière, du traitement des déchets et de l’agriculture.
Pour Alain Gargani, « en tant que patrons de petites et moyennes entreprises, nous n’avons pas attendu cette loi pour nous préoccuper de la santé et des conditions de travail de nos salariés. Nous souhaiterions que le problème de la pénibilité soit traité avec le plus de simplicité possible dans sa mise en œuvre et ne pas nécessiter plusieurs jours de travail supplémentaire alors que nous croulons déjà sous les tâches administratives. Nous voulons de la simplification, et là, on nous sort une règle très complexe, un carcan de plus ». Pour Jocelyne Cabanal, le dispositif constitue au contraire, « une avancée sociale fondamentale » pour des millions de salariés.
Le compte de pénibilité est donc un sujet de discussion et de négociation loin d’être clos...
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Le Compte Personnel de Prévention de la Pénibilité (C3P), comment ça marche ?
La CFDT assure le service après-vente du C3P, le "Compte Personnel de Prévention de la Pénibilité" !
Après avoir obtenu cette mesure de justice sociale, nous restons vigilants afin que sa mise en oeuvre réponde bien à ses objectifs.
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