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CFDT Crédit Agricole Languedoc

Le droit à la déconnexion, c'est maintenant!

17 Août 2016, 23:05pm

Publié par CFDT CA Languedoc

Le droit à la déconnexion, c'est maintenant!

La loi El Khomri vient s'ajouter à la pression de la jurisprudence pour inciter l'ensemble des entreprises à se saisir d'un dossier où quelques grands groupes ont déjà une longueur d'avance.

 

Pour être certain que son message sur le droit à la déconnexion passe bien auprès de la totalité des salariés de Solvay, Jean-Christophe Sciberras, le directeur des relations sociales du groupe chimique, a employé les grands moyens. Voilà un an, la "charte pour l'équilibre entre activité professionnelle et vie personnelle" a été adressée par la poste, avec les bulletins de paie, à tous les salariés français du groupe. 

"Nous envoyons rarement des documents par ce biais. C'était une façon d'affirmer l'importance de ces principes", affirme l'ancien président de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). Parmi ces règles, le respect des temps de repos, l'optimisation des réunions et un usage raisonné des courriels.  

 

"Avant, quand quelqu'un envoyait des messages en dehors des heures de travail, on se disait qu'il était très engagé pour l'entreprise. Maintenant, c'est plutôt perçu comme un signe de stress ou de mauvaise organisation", assure Jean-Christophe Sciberras. Le DRH va tout de même demander à son service informatique de faire un point sur l'utilisation de la messagerie électronique de l'entreprise le week-end, afin de s'assurer qu'il ne reste pas des points de tension ici ou là...  

 

Avec la généralisation des mails, d'Internet et surtout des smartphones, nombre de cadres ont de plus en plus de mal à déconnecter de leur travail le soir, le week-end, ou même pendant leurs vacances. "Pendant longtemps, il y avait une sorte d'équilibre entre les activités personnelles sur Internet au bureau et le travail rapporté à la maison. Mais, avec la crise et les plans sociaux, cet équilibre s'est rompu", constate Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit social à la Sorbonne. Au point d'être devenu un véritable problème de santé publique.  

"Une étude publiée dans la revue The Lancet a montré qu'un temps de travail supérieur à cinquante-cinq heures par semaine augmente de 33% le risque de faire un AVC ", affirme Jean-Luc Molins, secrétaire national de l'Ugict-CGT, un des premiers à avoir lancé l'alerte sur le sujet, il y a déjà quelques années.  

Depuis, l'idée d'instaurer un "droit à la déconnexion" a fait son chemin. Dans son rapport remis au gouvernement en septembre 2015 sur la "transformation numérique et la vie au travail", Bruno Mettling, l'ex-DRH d'Orange, y avait consacré une large part. Et, désormais, avec la loi travail, qui devrait être adoptée au cours de l'été, plus aucune entreprise de plus de 50 salariés ne pourra s'exonérer de cette question. 

 

Obligation de négocier, mais pas d'aboutir

 

Ce texte rend en effet obligatoire dès 2017 l'ouverture de négociations sur le droit à la déconnexion, dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire sur la qualité de vie au travail. En revanche, il n'y a pas d'obligation d'aboutir: en cas d'absence d'accord, l'entreprise doit simplement rédiger une charte. Mais aucune sanction n'est prévue si elle ne le fait pas. Difficile, en apparence, de faire moins contraignant...  

Attention toutefois à ne pas s'arrêter à cette première approche! D'abord parce que, contrairement à une idée souvent répandue, une charte a bien une valeur juridique: "Un juge peut considérer par exemple que la charte vaut engagement unilatéral de l'employeur, et permettre aux salariés de s'en prévaloir en cas d'abus", explique Pascal Lokiec, professeur de droit social à Nanterre.  

Et, surtout, la jurisprudence pousse les employeurs à prendre des mesures de prévention, notamment contre les risques psychosociaux: "La Cour de cassation dit clairement que les entreprises doivent pouvoir prouver qu'elles ont mis en oeuvre toutes les mesures possibles pour protéger la santé de leurs salariés. Sinon, leur responsabilité peut être engagée en cas de burn-out ou de suicide", ajoute encore ce juriste.  

Sans oublier que, en cas de rupture conflictuelle, les salariés n'hésitent pas à utiliser leurs mails pour démontrer l'existence d'horaires excessifs et réclamer le paiement d'heures supplémentaires. C'est même le lot quotidien des prud'hommes. "Les juges statuent au cas par cas. Donc le risque juridique existe bel et bien", confirme Claire Toumieux, avocate associée au cabinet Allen & Overy. Pour s'en prémunir et protéger la santé de leurs salariés, quelques grandes entreprises - Volkswagen, par exemple - en ont conclu qu'il fallait couper les serveurs la nuit et le week-end.  

 

 

"C'est une double erreur. Les salariés vont utiliser leur messagerie personnelle, ce qui pose des problèmes de sécurité. Ensuite, ils peuvent travailler chez eux le soir ou le week-end sans se connecter. Tout est une question de preuve", souligne Etienne Pujol, avocat associé chez STC Partners.  

Dans ce contexte, une charte appelant à un usage raisonné des courriels et au respect des temps de repos est donc un minimum... dont il vaut mieux ne pas se contenter. L'assureur Axa, par exemple, en a signé une dès 2012. Il y est clairement précisé qu'un mail reçu en soirée ou le week-end n'appelle pas de réponse.  

"Depuis, nous avons accroché cette charte dans toutes les salles de réunions. Nous en avons aussi rappelé les principes dans notre accord sur la qualité de vie au travail. Cela montre l'engagement de l'entreprise sur ce point", souligne Sibylle Quéré-Becker, directrice du développement social d'Axa France. Outre une charte sur l'usage des outils informatiques, Saint-Gobain a de son côté mis au point des mini-moocs d'une dizaine de minutes pour aider les salariés à éviter les mails inutiles, à les rédiger de façon efficace et sobre, et à gérer les priorités... "Cela permet aux salariés d'évaluer la pertinence et les délais de réponse les plus appropriés", souligne Régis Blugeon, directeur des ressources humaines France du groupe.  

 

Dispositif renforcé pour les salariés en forfait jours

 

En réalité, les négociations sur le droit à la déconnexion devraient surtout amener les entreprises à se poser la question de la charge de travail. "Il est très important d'avoir un dialogue à ce sujet, et de bien prendre en compte la capacité du collaborateur à faire face à ce qui lui est demandé. Il faut des discussions à des échéances régulières, dont on garde des traces", conseille Etienne Pujol.  

Des mesures fortement conseillées pour l'ensemble des salariés, selon cet avocat, qui ont été rendues obligatoires, à la fois par la jurisprudence et la loi, pour les salariés en forfait jours. Il s'agit souvent de cadres, dont le temps de travail n'est plus compté en heures mais en jours, sans précisions d'horaires, et ce quelle que soit la taille de l'entreprise. "Il y a eu beaucoup d'abus, et la France a été plusieurs fois condamnée par le Comité européen des droits sociaux", souligne Jean-Luc Molins (Ugict-CGT). D'où la nécessité, pour ces entreprises, de "sécuriser" leur dispositif de forfait jours.  

 

 

Une logique poussée très loin par le Groupe Michelin, dans le cadre d'un accord signé en mars 2016. Le fabricant de pneumatiques a en effet mis en place un système de suivi automatique des horaires d'entrée et de sortie de ses cadres, et de leurs connexions au serveur en dehors des heures de travail. Chaque mois, les managers et les RH ont un retour, sous forme d'un rapport sur des "points de vigilance".  

En cas d'anomalie avérée (temps de repos journalier inférieur à onze heures consécutives, week-ends raccourcis, ou plus de cinq connexions à distance par mois entre 21 heures et 7 heures ou le week-end), le chef de service devra dialoguer avec son collaborateur, pour voir s'il se trouve en difficulté, et pour quelle raison. Le salarié pourra aussi signaler de lui-même qu'il est débordé et ne s'en sort plus, par le biais de ce même rapport mensuel.  

"Nous ne nous attendons pas vraiment à ce que des salariés le fassent dès la première fois. L'idée est surtout de diffuser un message symbolique, pour montrer que nos collaborateurs ont le droit de dire qu'ils sont en surcharge et qu'ils ont besoin d'aide. Aujourd'hui, ils ne le font pas pour des raisons culturelles; nous voulons briser ce tabou", souligne Benoît de La Bretèche, le directeur des relations sociales du groupe. Mais il en a conscience: chez Michelin comme ailleurs, il faudra du temps pour faire changer les habitudes...