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CFDT Crédit Agricole Languedoc

« On ne reconnaîtra plus les banques dans 20 ans »

11 Octobre 2016, 23:05pm

Publié par CFDT CA Languedoc

« On ne reconnaîtra plus les banques dans 20 ans »

Ancienne de Morgan Stanley et de Deutsche Bank, Susanne Chishti a quitté la banque pour fonder Fintech Circle, un réseau de business angels investissant dans les startups réinventant les métiers de la finance. Auteur d’un livre très complet sur le secteur dont elle est une spécialiste reconnue, elle nous livre ses réflexions lors de son passage à la conférence Bordeaux Fintech.

 
LA TRIBUNE - Le nombre de levées de fonds et les valorisations des Fintech sont à la baisse. Vu de votre réseau de business angels spécialisé, est-ce la fin d'une mode ?

 

SUSANNE CHISHTI - Il y aura des hauts et des bas, mais à long terme le mouvement est clairement ascendant. La finance doit changer, comme l'industrie de la musique au début des années 2000. On ne reconnaîtra plus les banques dans 20 ans.

C'est une opportunité immense pour nous tous : les consommateurs, qui pourront bénéficier de meilleurs services et tarifs, les entrepreneurs, qui pourront toucher de nouveaux segments de clientèle, et enfin les banques elles-mêmes, qui pourront en quelque sorte externaliser l'innovation et choisir la meilleure sans prendre de risque ni supporter les coûts de développement. Bien sûr, il leur faudra aussi allouer différemment certaines ressources : ce sont les départements informatiques qui sont les plus menacés, ils devront justifier leur existence, la nécessité d'investir dans les systèmes d'information existants.

 

La Fintech ne constitue-t-elle pas une menace pour les banques dans leur ensemble ?

 

La plus grande menace ne vient pas des startups de la Fintech mais des géants de l'Internet, les GAFA, qui ont des moyens financiers et des marques comparables voire encore plus puissants. Les Google, Apple, Facebook, Amazon pourront choisir les cerises sur les gâteaux des banques et celles-ci risquent d'être réduites à fournir des services banalisés, sans capacité de différenciation. Pour contre-attaquer, il n'y a qu'une solution : l'innovation, dans une démarche ouverte.

 

Vous avez travaillé 15 ans dans la banque, qu'ont-elles raté à votre avis, étaient-elles trop focalisées sur les produits au lieu des clients ?

 

Je crois que les banques ont été un peu arrogantes, considérant qu'elles savaient tout mieux que tout le monde, dans leur tour d'ivoire. Et puis la crise financière a secoué tout le système bancaire et elles ont dû changer, pour payer les amendes et se mettre en conformité avec la régulation.

Les banques étaient focalisées sur la « compliance », pas du tout sur l'ergonomie et la simplicité d'utilisation. Elles ont compris qu'elles devaient s'y intéresser. Le problème est que l'état-major des banques ne comprend pas la technologie, qu'il considère comme un sujet de back-office, de fonction supports, alors qu'elle devrait être au cœur de leur stratégie de front-office, de contact avec le client. C'est un énorme changement culturel. Dans ces entreprises très pyramidales, il faut aussi qu'on accepte que les idées puissent venir de jeunes, en bas de la hiérarchie. Or ce sont de gros paquebots à manœuvrer.

 

Doivent-elles acquérir des Fintech pour rattraper leur retard ?

 

Ce doit être un mélange d'innovation interne, d'ouverture d'incubateurs et d'acquisitions, et pas seulement l'un ou l'autre. Les banques doivent aussi regarder les FinTech à différents stades de maturité, des plus jeunes startups aux « scaleups » de plus grande taille et en pleine internationalisation.

 

Vous vivez à Londres et avez rencontré les Fintech françaises pendant la conférence Bordeaux Fintech. Face aux plus grandes startups venues de Londres, de la Silicon Valley ou de Chine, comment peuvent-elles sortir du lot ?

 

C'est vrai qu'il y a beaucoup d'acteurs et il peut être difficile de se faire entendre dans tout ce vacarme. C'est un secteur en plein essor et ce n'est pas évident de savoir ce qui va réellement émerger.

En tant qu'Autrichienne, je remarque que nous, les Européens, avons tendance à ne pas bien nous vendre et à ne pas être assez ambitieux. Les Américains sont très forts pour faire des pitchs impeccables, même avec peu de substance. Je conseille aux startuppers français de ne pas être trop timides ni trop humbles, de viser grand tout de suite, l'international et pas seulement le marché français.

 

Vous publiez une somme sur le secteur. Où se trouve l'avenir de la Fintech à vos yeux ?

 

Les grandes tendances du moment sont l'intelligence artificielle, le change, les Assurtech et les « Regtech » (pour régulation, NDLR) : il y a de plus en plus de Fintech qui proposent des solutions aux banques pour alléger le poids de la conformité dans leur informatique, qui représente leur plus grosse dépense IT.

Sur le plan géographique, j'ai l'espoir que l'écosystème Fintech ne repose pas seulement sur la Silicon Valley et que des pôles d'innovation se développent un peu partout en Europe, par exemple dans la banque privée et la Blockchain en Suisse, dans l'intelligence artificielle et le paiement à Paris, et qu'ils fassent équipe pour concurrencer les États-Unis. Mais l'Europe doit aller vite et ne pas se reposer sur ses lauriers.