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CFDT Crédit Agricole Languedoc

Les salariés des banques malades de leur travail

8 Décembre 2017, 00:05am

Publié par CFDT CA Languedoc

Les salariés des banques malades de leur travail

Réduction d'effectifs, course aux objectifs et nouvelles technologies dégradent les conditions de travail des salariés du secteur bancaire.

 

Merci de vous intéresser aux salariés du secteur bancaire. Pour une majorité de Français, ce sont des privilégiés. L’amalgame entre le patron-banquier et le salarié de base est devenu insupportable", déplore un conseiller clientèle de la Société générale. Sa situation, il la résume en deux chiffres : "Trente-cinq ans de maison, 2000 euros net sur treize mois et des conditions de travail devenues intenables." Dans cette direction commerciale bretonne, la coupe est pleine. La moitié des 128 salariés sondés par la CFDT au printemps se sont lâchés : quasiment tous (92 %) constatent "une dégradation des conditions de travail". Plus de sept sur dix jugent les effectifs insuffisants, les objectifs irréalisables et 98 % disent faire des heures supplémentaires.

"Entre les départs en retraite non remplacés et les arrêts maladie, il a manqué jusqu’à 8% des effectifs ces derniers mois. La direction refuse d’embaucher, puisque des réductions d’effectifs sont prévues. En les anticipant, elle crée de la souffrance au travail", analyse Joël Le Quéau, délégué syndical CFDT, pas surpris que 66 % des répondants à ce questionnaire sur les conditions de travail se disent prêts à débrayer. Ce qui, ici, "serait une première depuis vingt ans".

 

Après la banque d’investissement, celle de détail

Le ras-le-bol des agents bretons n’est pas isolé. La Société générale a réalisé fin 2016 une enquête interne en déclinaison de son accord sur la qualité de vie au travail de 2015, à laquelle ont répondu 22 874 salariés. Selon les résultats, qu’Alternatives Economiques a pu consulter, 26 % d’entre eux se déclarent "en stress" et 22 % - soit 5 000 personnes - dans un état de "stress élevé". "Par son intensité ou sa chronicité, il va y avoir un impact sur la santé psychologique et physique", note le cabinet Greenworking, auteur de l’évaluation. La part de salariés en souffrance est plus élevée encore dans le réseau commercial, en restructuration depuis 2015 (20 % des agences devant fermer d’ici à 2020), avec 25 % de répondants se déclarant en état de "stress élevé".

Et l’herbe n’est pas plus verte dans d’autres établissements du secteur bancaire. Longtemps recruteur net, il perd chaque année quelques milliers d’emplois depuis 2011, sans casse sociale majeure pour l’instant. Il y a six ans, le secteur dans son ensemble comptait 381 000 salariés, ils n’étaient plus que 370 300 en 2016. Il s’agit, à bas bruit, de l’un des plus gros "plans sociaux" du pays. Les employeurs recourent aux plans de départs volontaires ou profitent de la pyramide des âges vieillissante en ne remplaçant pas tous les départs en retraite. Après avoir taillé dans les effectifs de leur activité de banque d’investissement, à la suite de la crise financière de 2008, tous les établissements réduisent la voilure dans la banque de détail, qui représente près de la moitié des emplois.

Parmi les causes de ces coupes claires, il y a notamment le transfert de tâches vers les clients : ils sont en effet de plus en plus nombreux à préférer les services bancaires sur téléphone, tablette, ordinateur. La concurrence croissante des fintechs, qui ne développent leurs services financiers (la fourniture de capital-risque à des start-up, par exemple) que sur mobile, est une réalité. Tout comme la percée des banques exclusivement digitales. Tout pousse les banques traditionnelles à réinventer leur modèle à marche forcée. Dernière annonce en date : le Crédit agricole veut lancer une offre low cost sur mobile, moins chère que ses services traditionnels.

 

Stress, anxiété et dépression

Et les salariés courbent le dos. Une étude interne de BNP Paribas, réalisée par son observatoire médical du stress, de l’anxiété et de la dépression (Omsad) auprès de 8 103 collaborateurs, est encore plus inquiétante que celle sur la Société générale. Présentée au printemps, elle a révélé que le nombre de salariés qui se déclarent en "surstress" (soit le "niveau à partir duquel le stress est un facteur de risque pour la santé") a bondi de 27,6 % à 32,6 % entre 2012-2013 et 2014-2015. Du jamais vu. La poussée est plus forte dans le réseau commercial : presque un conseiller en agence sur deux est concerné. Et beaucoup redoutent une nouvelle dégradation de la situation. Le nouveau plan stratégique 2017-2020 vise en effet 2,7 milliards d’économies annuelles à partir de 2020. Il renforce notamment la digitalisation de toutes ses lignes de métiers, programme la fermeture de 10 % de ses agences et une réduction d’effectifs de 2 % à 4 % par an.

Emploi : les banques débauchent

Les banques sont toujours l’un des premiers employeurs du secteur privé en France. Mais, avec 370 000 emplois fin 2016, le secteur bancaire voit se réduire le nombre de ses salariés depuis 2011. Si les banques ont recruté 41 000 personnes l’an passé, le nombre des embauches ne compense pas celui des départs.

Les banques commerciales profitent encore des vagues de départs à la retraite : 42 000 personnes pourraient partir d’ici à 2025 (environ 20 % des effectifs). Dans les banques, les cadres représentaient 61 % des effectifs en 2016, contre 55 % en 2012. Une évolution en lien avec celle du contenu des métiers, qui conduit au recrutement de profils plus qualifiés ou experts. Le nombre de bac + 5 (et au-delà) a ainsi bondi de 36 % en 2014 à 44 % en 2016 dans les nouvelles embauches

Chez LCL, qui a conduit début 2015 un important plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) portant sur 1 658 postes, mais sans licenciement, le malaise est toujours prégnant. En mars dernier, Force ouvrière a lancé une "alerte sur la santé des salariés", inquiétée par de nombreux indicateurs confirmant les témoignages de "salariés en détresse et souffrance". Le projet de bilan social 2016 a révélé un taux de démissions multiplié par deux en deux ans, une hausse des départs en cours de période d’essai de 160 %. Selon l’indice d’engagement et de recommandation des collaborateurs 2016, un baromètre interne que nous avons pu consulter, seuls 44 % du personnel recommanderait LCL comme bon employeur. Tandis que 45 % estiment ne pas disposer des outils et des équipements nécessaires pour travailler au quotidien.

Quant à l’évaluation du niveau de stress, menée à la demande du comité d’entreprise par le cabinet Syndex, 34 % des 2 274 salariés qui ont répondu se déclarent en "job strain". C’est-à-dire un état associé à un risque plus élevé de troubles cardiovasculaires, musculo-squelettiques et dépressifs. "Tous les salariés, du front, du back ou du middle office et des fonctions supports subissent le manque criant d’effectifs", commente Philippe Kernivinen, délégué syndical FO de cette entreprise, marquée fin 2016 par un suicide et une tentative de suicide sur le lieu de travail. "Cela ne signifie pas qu’ils soient directement liés au travail", met cependant en garde un porte-parole de LCL.

 

"Don Quichotte de la digitalisation"

"Nous ne serons pas les Don Quichotte de la digitalisation. Mais les employeurs doivent garantir des avancées sur les conditions de travail, répondre aux besoins d’accompagnement en mobilité géographique ou fonctionnelle", martèle Régis Dos Santos, président du Syndicat national de la banque et du crédit (SNB/CFE-CGC). Ce syndicat, premier du secteur, réclame de longue date un "plan Marshall de la formation" pour assurer l’employabilité des salariés, mais aussi une négociation de branche sur la qualité de vie au travail.

Signe d’une évolution, l’Association française des banques (AFB), le syndicat patronal, jusque-là hostile, a accepté le principe de cette négociation, mais... sans déterminer de calendrier. Cela n’a pas empêché les employeurs de se mettre individuellement en mouvement. Avec son accord sur la qualité de vie au travail de 2015, signé par quatre syndicats sur cinq (hors CGT), la Société générale, qui était précurseur sur le sujet dès 2006, s’est dotée d’un observatoire paritaire et a lancé un programme "life at work" rassemblant une série de mesures (optimisation de la gestion des e-mails, télétravail). "Nous allons lancer des plans d’action remontés du terrain", précise Marie Langlade-Demoyen, directrice de la responsabilité sociale au travail à la Société générale.

BNP Paribas a également signé en 2015 un accord sur la prévention et l’évaluation du stress au travail, avec les seuls syndicats CFDT et FO. Après l’enquête Omsad, elle a engagé des groupes paritaires de travail.

Reste que les salariés du secteur sont ébranlés, à en croire la troisième étude sur les risques psychosociaux du SNB/CFE-CGC, réalisée auprès de 6 700 salariés et publiée avant l’été : 37 % des répondants jugent leur sécurité de l’emploi menacée, tandis que 28 % s’estiment incapables de faire le même travail jusqu’à la retraite. Pointés : la charge de travail "excessive" pour 76 % des répondants et, pour 69 %, le manque de temps pour faire correctement le travail dans un métier ultracontraint par les process informatisés et standardisés.

 

"Marqués à la culotte"

Sans oublier l’accueil partagé des clients en agence qui impose à tous la polyvalence, parfois jusqu’au directeur d’agence. "On n’est pas des machines. Une demi-journée par semaine passée à l’accueil, c’est autant que je ne peux consacrer à mon portefeuille-clients, alors que mes objectifs commerciaux restent inchangés. Je perds le rythme. Et je ne parle pas du volume d’e-mails que je n’ai pu traiter", commente Alexandra, conseillère clientèle particuliers chez LCL, qui doit assurer 15 à 20 rendez-vous client par semaine.

Il y a aussi le pilotage de la performance, de plus en plus serré. "Des objectifs annuels, qui sont cadencés semaine par semaine, par nombre de produits et de capitaux à atteindre, pour qu’on reste dans le rythme. Sans compter les opérations spéciales. On est marqué à la culotte", commente Aline, autre conseillère LCL. "La pression commerciale est tellement permanente qu’elle est assimilable à du harcèlement", estime Raphaël, conseiller clientèle particulier à la Banque populaire. Il a droit, chaque semaine, à un entretien de vingt à trente minutes avec le directeur de son agence "pour débriefer les ventes" sur ses vingt rendez-vous clientèle hebdomadaires "et parfois avec le n + 2".

Autant dire qu’au moindre grain de sable, c’est la catastrophe. "Un mardi, j’ai découvert 43 mails de clients arrivés pendant le week-end. Ma semaine était foutue",souffle un conseiller Société générale. "Le secteur n’a pas trouvé son modèle,explique Ludovic Ponge, consultant ergonome spécialiste du secteur bancaire au cabinet Secafi. Les banques sursollicitent les conseillers, sans avoir appréhendé la réalité de leur charge de travail, qui s’est modifiée avec le numérique. Il n’y a pas moins de flux de clients, ceux qui venaient en agence passent désormais par les mails et les appels téléphoniques. Mais aucun établissement n’a les outils de gestion pour les mesurer."

 

L’inconnue Watson

Pris dans une course de vitesse, le secteur a déjà les yeux tournés vers ce qui pourrait être une rupture technologique, qui s’appelle Watson. Ce logiciel d’intelligence artificielle d’IBM aide déjà 20 000 chargés de clientèle du Crédit mutuel à répondre aux mails et aux questions des clients. Il sera aussi testé, comme conseiller virtuel, par la toute nouvelle Orange bank. "Watson sera-t-il un assistant épaulant les conseillers ou va-t-il se substituer aux forces commerciales des grandes banques ? Si c’est le cas, on doit s’y préparer pour trouver des solutions de reconversion", commente Sébastien Busiris, responsable de la fédération FO Banques.

On en saura bientôt plus, quand sera rendue publique l’étude commandée par l’AFB au cabinet Athling pour évaluer l’impact de ces outils d’intelligence artificielle sur le secteur. Sûr qu’elle sera regardée de près par les conseillers clientèle, qui dénoncent des conditions de travail devenues intenables. Mais qui sont tout autant tenaillés par la nouvelle crainte de perdre leur emploi.

ALTERNATIVES ECONOMIQUES N°374 - 11/2017