Télétravail: un an après, quel impact sur les collaborateurs ?
Ne plus « voir la tête des gens, rythmer sa vie »: depuis un an, le télétravail s’est imposé avec la crise du coronavirus, mais a aussi révélé des effets indésirables, qui entraînent une certaine érosion redoutée par le gouvernement. Le 17 mars 2020, la France se confine. C’est le début du déploiement massif de ce mode de travail, une découverte pour de nombreux salariés. « Depuis un an, ce n’est pas un télétravail classique, choisi, que nous vivons, mais subi », insiste Océane, cadre dans la banque.
Le premier confinement a été « une catastrophe » pour cette mère d’une enfant de 4 ans. Depuis la réouverture des écoles, « tout s’est bien rétabli… ou presque ». « Je travaille beaucoup plus qu’avant! Les pauses déjeuner sont raccourcies, il n’y a plus cet élan comme en entreprise où on va tous à la cantine ou tous boire un café… Je fais une pause de 3 minutes le matin, et une autre l’après-midi », constate auprès de l’AFP la quadragénaire, épuisée. Elle rapporte aussi des relations avec les collègues « beaucoup plus tendues », les demandes par courriel étant « perçues comme un ordre ».
In fine, « ce qui (lui) manque c’est de voir la tête des gens, rythmer sa vie ». « Les gens à distance font très bien les tâches », relève Charles, responsable dans une PME, mais « là où on perd, c’est sur la régénération d’idées », par exemple lors d’échanges informels dans les couloirs. Un constat partagé par Joséphine, directrice presse dans une grande entreprise spécialisée en urbanisme, convaincue que dans un métier de création, il y a un « besoin de connexion et de stimulation intellectuelle ». Si elle se rend une fois par semaine au bureau, voire deux quand elle en a « ras le bol ou besoin de voir des humains », certains dans son équipe, ont demandé à revenir à 100%, notamment les alternants et stagiaires, qui vivent souvent dans de tout petits appartements, en détresse physique ou psychologique, explique-t-elle.
Une « érosion »
C’est « très difficile pour un manager de sentir ses équipes, d’appeler chacun pour repérer celui qui a un petit coup de mou », ajoute Charles. Avec le télétravail et le couvre-feu à 18H, « on a l’impression d’être un hamster dans sa cage, qui a le droit à des tours de roue travail et rien d’autre », se lasse Alexandra, manager dans un service informatique d’une grande entreprise publique. « On va devenir fous avec ce mode de vie! ».
Actuellement, le protocole en entreprise énonce que « dans les circonstances exceptionnelles actuelles (…), le télétravail doit être la règle pour l’ensemble des activités qui le permettent ». Il a tout de même été adapté en janvier pour permettre aux salariés en télétravail à 100% de revenir un jour par semaine. Mais au vu d’une « érosion » ces derniers temps, alors que selon un récent sondage Odoxa, 74% des télétravailleurs confient leur besoin de retourner travailler physiquement, de temps en temps, le gouvernement multiplie les appels à intensifier le télétravail, et au moins 52 mises en demeure ont été prononcées par l’Inspection du travail depuis octobre.
« Il y a un gros désenchantement », estime Christophe Nguyen, du cabinet Empreinte humaine, spécialisé dans les risques psycho-sociaux. « Télétravailler à 100%, même 4 jours sur 5, ça pèse dans le temps sur la santé mentale, sur le sens de ce qu’on fait, sur la monotonie de ses tâches », dit-il. Désormais plus d’un tiers des télétravailleurs « saturent », et « le plus grand désenchantement est pour les managers », avance-t-il.
Des relations « compliquées » au sein des équipes
Joséphine confesse que ses relations avec certaines équipes sont « compliquées ». « Plein de fois, les gens étaient injoignables et les explications sont toujours les mêmes: ‘J’avais ma fille à gérer, le téléphone était de l’autre côté…’. Tout le monde a le droit d’avoir des enfants mais ça devient un peu facile », râle-t-elle. Lors d’une table ronde cette semaine à l’Assemblée nationale, les syndicats ont mis en avant une situation qui au bout d’un an devient « très inquiétante », citant parmi les « difficultés qui pointent » l’intensification du travail et la perte du lien social.
« On voit des détresses psychologiques, des risques psychosociaux importants, de l’épuisement, de la perte de sens et aussi des problématiques au niveau de l’organisation du travail », a souligné Béatrice Clicq (FO), devant la commission des Affaires sociales. « On a plutôt le sentiment que les télétravailleurs au bout d’un an, sans perspective de sortie visible de cette crise sanitaire, sont ceux qui commencent à souffrir le plus de la perte du lien social, », a abondé Catherine Pinchaut (CFDT), ceux sur site étant « parfois quelque peu enviés ». Parmi les motifs de jalousie: « quand on est à la maison, on bouffe et c’est un vrai souci », s’amuse Joséphine, dont la balance indique 3 kilos de plus. « Après une réunion Zoom, tu te dis: J’ai bien mérité un verre… un chocolat… ».
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