Salaire minimum européen : le Conseil trouve un accord
Afin de lutter contre la pauvreté des travailleurs et limiter le dumping social entre les États membres, l’Union européenne élabore une directive sur le salaire minimum. Après le Parlement, le Conseil européen vient d’adopter la feuille de route relative à ce sujet politiquement très sensible.
L’Union européenne va-t-elle enfin voir aboutir son projet de salaire minimum ? Il semblerait que oui tant les planètes semblent bien alignées. La proposition de directive présentée par la Commission à la fin octobre 2020 a déjà été débattue et amendée par le Parlement européen, qui a adopté un texte le 25 novembre dernier. Depuis, les ministres des Affaires sociales des Vingt-Sept sont parvenus à un accord au début décembre. Les trois institutions (Commission, Parlement et Conseil) ont donc à présent chacune une feuille de route afin de négocier et de parvenir à une position commune. Les observateurs les plus optimistes estiment qu’un tel accord pourrait être obtenu en février 2022… si la présidence française en fait une priorité. Les États membres auront ensuite deux ans pour la transposer dans leur législation nationale.
Des positions très différentes selon les pays
Si ce scénario se déroule comme prévu, on pourra alors affirmer qu’un pas important aura été fait par l’Union européenne dans le domaine social – alors même qu’elle n’a pas de compétence sur tout ce qui a trait aux rémunérations. Sur le papier, pourtant, le projet semblait irréalisable tant les positions et cultures des différents pays se révèlent diamétralement opposées quant à la question du salaire minimum. Sur les vingt-sept pays de l’Union, vingt et un ont un salaire minimum et six (Autriche, Chypre, Danemark, Finlande, Italie et Suède) n’ont que des minima conventionnels négociés par branche. Ces derniers (et particulièrement les pays nordiques) tiennent à cette spécificité qui leur a permis de négocier de nombreuses avancées sociales. Ils craignent que l’instauration d’un salaire minimum par une loi vienne remettre en question tout ce qu’ils ont construit au fil des ans et qui garantit aujourd’hui un haut niveau de protection à leur population.
Autre sujet de discorde : le niveau du salaire minimum, très disparate selon les pays. Au 1er janvier 2021, le salaire minimum horaire brut était de 12,73 euros au Luxembourg, de 9,50 euros en Allemagne, de 4,01 euros au Portugal et de 2 euros en Bulgarie. Bien sûr, il n’a jamais été question de décider d’un montant unique valable pour toute l’Union européenne – mais même en tenant compte du salaire moyen par pays comme base de référence, les disparités restent très fortes.
En France, par exemple, le salaire minimum équivaut à environ 50 % du salaire moyen. En Allemagne ; ce n’est que 42,5 % ; en Espagne, 33,9 %. Comment alors éviter que les États limitent le niveau du revenu minimum en vue de bénéficier d’un avantage compétitif au sein de l’Union européenne ? Autrement dit, comment faire en sorte que l’UE favorise la convergence des rémunérations vers le haut et non la loi de la jungle.
La négociation collective fortement encouragée
Pour contourner ces difficultés, la Commission européenne a présenté un projet de directive qui ménage les susceptibilités de chacun. L’idée n’est donc pas d’obliger chaque État à légiférer sur le salaire minimum mais d’encourager la négociation collective et d’obliger les États qui n’obtiendraient pas de résultat satisfaisant à présenter publiquement un plan d’action. Toutes les discussions à venir vont donc être consacrées à la détermination d’un niveau à partir duquel les États ne seront plus tenus de rendre des comptes à la Commission européenne. Et pour éviter toute forme de blocage, la directive n’imposera pas non plus le montant du salaire minimum.
La Commission parle de « salaire décent » et liste une série de critères qui doivent permettre de définir le montant adéquat, critères tels que le pouvoir d’achat, l’évolution des salaires, le rapport entre salaire minimum et salaire moyen ou médian… « Il s’agit d’un projet de directive très prudent qui a permis de désamorcer l’opposition des pays scandinaves, résume l’économiste Jérôme Gautié. Et si ce projet abouti, cela mettra une pression sur les États qui ne couvrent pas l’ensemble de leurs salariés comme l’Espagne ou l’Allemagne. Cela peut avoir un effet pour lutter contre le dumping social au sein de l’Union. »
La Confédération européenne des syndicats (CES) estime aussi que cette proposition de directive va dans le bon sens et milite à présent pour qu’elle aboutisse le plus rapidement possible. « Cette directive visant à améliorer les salaires minimaux et la négociation collective […] est désespérément attendue par les travailleurs dans l’ensemble de l’Europe et soutiendrait également la reprise », conclut Esther Lynch, secrétaire générale adjointe de la CES. Tous les regards se tournent donc vers la présidence française, chargée de mener à bien les négociations.