Laurent Berger : "Il y a deux conceptions du syndicalisme"
Que faites-vous ce 1er-Mai ?
« Je suis avec des militants d’Ile-de-France, pour débattre de la loi Travail, et parler des réfugiés, car ce sujet concerne nos valeurs, et notre ambition de construire une société plus ouverte. »
Vous êtes déçu par le gouvernement sur ce point ?
« Oui, je suis très déçu que la France soit incapable d’assumer comme l’Allemagne. Devant les réfugiés, en rompant sa tradition d’accueil, la France est en train de perdre son âme. Cela vaut pour nos gouvernants, et pour une partie du peuple français, qui paraît s’en satisfaire. Et l’accord de l’Europe avec la Turquie est scandaleux : ce pays est dans une dérive totalitaire, il menace les droits de l’homme et les libertés, emprisonne des syndicalistes, et on lui demande de gérer la question des migrants ! L’Europe doit réserver un accueil humain et digne aux migrants qui sont des gens comme vous et moi, qui fuient les atrocités de la guerre. »
Les syndicats français fêtent ce 1er-Mai en rangs dispersés, on entend le congrès de la CGT siffler le nom de CFDT, Jean-Claude Mailly vous critiquer… La rupture est durable ?
« Les propos outranciers, les sifflets de Marseille (au congrès de la CGT – N.D.L.R.), les attaques ad hominem du secrétaire général de FO, pire encore les mises en cause des militants CFDT dans les entreprises – tout cela ne grandit pas le syndicalisme. La coupure existe, et elle reflète deux conceptions du syndicalisme. Dans une situation économique et sociale aussi dure, et en plus une lourde fatigue démocratique, je continue de penser que le syndicalisme doit d’abord être utile aux salariés, en faisant des propositions concrètes. »
Et non pas lancer une grève reconductible contre la loi Travail ?
« L’important est de savoir ce que l’on veut obtenir. Demander le retrait d’un texte porteur de progrès pour les travailleurs ne correspond pas à la logique de la CFDT. Cette loi arrive dans un contexte de défiance généralisée. Chacun peut exprimer ses idées et revendications, mais les violences sont inacceptables et je les condamne. »
Le projet de loi Travail, dans sa forme actuelle, vous paraît acceptable ?
« Le premier projet était totalement déséquilibré. La CFDT a imposé un rapport de force, et elle a obtenu gain de cause sur les indemnités prud’homales, sur le maintien des droits en vigueur par rapport au droit supplétif… Ce projet répond aussi à deux revendications que nous portions depuis longtemps. D’abord, la sécurisation des parcours professionnels, avec le compte personnel d’activité et le compte de prévention de la pénibilité, qui bénéficie déjà à 500 000 personnes. Ensuite, la place donnée à la négociation collective, car l’avenir, c’est le syndicalisme dans l’entreprise. Nous soutenons les avancées contenues dans ce texte, car notre rôle est d’engranger des résultats pour les salariés, en dépit d’un contexte compliqué, avec un gouvernement affaibli, certaines organisations syndicales qui se radicalisent, et un patronat également radicalisé. Mais quand un texte est rejeté à la fois par la CGPME et le Medef d’un côté, la CGT et FO de l’autre, je me dis qu’on n’est pas dans le faux. »
Ajoutez des candidats de droite plutôt opposés au principe du dialogue social, ça ne laisse pas beaucoup d’avenir à la discussion…
« Il y a un temps pour la campagne, où l’on montre ses muscles, et un temps pour l’action. Pour moi, le dialogue social n’est pas une religion, c’est juste le meilleur moyen de construire le progrès, au niveau interprofessionnel et dans les entreprises. Mais il est vrai que je suis inquiet sur l’avenir de la démocratie sociale et, au-delà, sur l’avenir de notre démocratie : elle est aujourd’hui incapable d’offrir des marges de manœuvre aux citoyens, et aux salariés dans les entreprises, pour peser sur les choix qui les concernent. »
Un accord sur l’Unédic reste possible ?
« Je le souhaite pour tous les demandeurs d’emploi, mais vu l’attitude du patronat, je doute de plus en plus. La CFDT a le sentiment que le patronat ne veut poursuivre la négociation que dans l’objectif de faire durer son chantage sur la loi du Travail. Mais les enjeux sont trop importants pour rompre les discussions. La CFDT a fait des propositions, notamment sur la mise en place d’une cotisation dégressive pour inciter les entreprises à allonger la durée des contrats et à embaucher en CDI. Et si le patronat déserte le terrain de l’assurance-chômage, la CFDT demandera au gouvernement de revoir tout ou partie des allégements d’impôts et de cotisations pour les entreprises programmées en 2017, dans le dernier volet du pacte de responsabilité. »
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POUR UN 1ER MAI SOLIDAIRE
Le 1er mai est une journée de solidarité internationale envers tous les travailleurs. Pour la CFDT, c’est le bon moment pour engager une réflexion collective sur la question des réfugiés. Avec trois autres organisations syndicales (la FAGE, l’UNSA et la CFTC), nous avons décidé d’y consacrer une table ronde ce dimanche 1er mai.
La CFDT porte des valeurs d’humanisme et de solidarité qui la conduisent à affirmer un devoir d’accueil et d’aide, envers des personnes qui fuient leur pays en guerre et risquent leur vie pour trouver une protection en Europe.
Pour autant, il ne s’agit pas de balayer les difficultés d’un revers de main. La « crise des réfugiés » pose un défi majeur à nos sociétés, et elle suscite des inquiétudes chez une partie de la population.
Pour y faire face, et être à la hauteur de nos responsabilités, chacun doit s’impliquer et coopérer : gouvernements, Union européenne, acteurs de la société civile, citoyens…
Le mouvement syndical à un grand rôle à jouer dans l’intégration des migrants sur les lieux de travail. Ces travailleurs sont souvent vulnérables, exposés aux risques d’exploitation et de discrimination. L’égalité de traitement avec les travailleurs locaux est la première de nos revendications. Nous réclamons aussi qu’ils aient accès à des emplois de qualité, à des cours de langue, de la formation, de bonnes conditions de logements…bref à l’ensemble des services et droits sociaux nécessaires à leur intégration dans la société. La CFDT s’y engage, dans les entreprises et sur les territoires : en Ile-de-France par exemple, nous sommes en partenariat avec France Terre d’Asile ; à Calais nos équipes travaillent à des solutions pour que les salariés, les habitants et les migrants vivent ensemble dans les meilleures conditions.
C’est au niveau de l’Europe que la prise en charge des réfugiés trouvera une solution globale. La CFDT soutien les revendications de la Confédération européenne des syndicats, pour une réelle politique européenne d’asile, et pour que tous les États membres de l’UE fassent preuve de solidarité dans l’accueil des réfugiés.
Force est de constater que nous en sommes encore loin. Les gouvernements européens préfèrent fermer leurs portes et regarder ailleurs, sensibles aux pressions de minorités xénophobes. La France ne brille pas par l’ampleur de son engagement et par les conditions dans lesquelles elle accueille les migrants. Pourtant, certains de nos dirigeants se permettent de faire la leçon à l’Allemagne…
L’accord récent avec la Turquie est un troc honteux et l’Union européenne, en l’acceptant, a tourné le dos à ses valeurs et à son histoire. Les effets prévisibles de cet accord sont déjà visibles: les migrants, loin de renoncer à leurs projets, n’ont pas d’autre choix que de contourner les routes désormais barrées côté turc, ce qui rend leur périple encore plus dangereux.
Faire face à l’arrivée massive de réfugiés n’a rien d’insurmontable. Si nous parvenons à accueillir et à intégrer ces populations, nos sociétés s’en trouveront enrichies et davantage soudées.
Bonne fête des travailleurs à toutes et à tous.